Vous vous promenez le long du port.

La mer est calme.

Les voiliers somnolent.

Au large, dans une aquarelle d’ors et de bleus, le soleil se couche.

La vie heureuse se résume facilement.

Il suffit de tendre la main et d’attraper les étoiles.

Vous avez passé la journée à la plage, à rire, à nager, et le sel vous colle à la peau.

Une sieste sur le sable.

Vous vous réveillez sans plus savoir comment vous en êtes arrivé là. Un caffè con grappa et les choses sont simples à nouveau. Il suffit de se laisser marcher sur le lungomare, et faire un peu de place en vous pour le ciel.

Carpe diem.

Cueille le jour.

Cette formule est d’un ringard détestable depuis que toutes les Magalie des zones pavillonaires en ont fait un tatouage. Toutefois, on n’a jamais rien écrit de plus pertinent en matière de bonheur.

Contemplez le coucher de soleil,

et vous vous trouverez dans l’horizon.

Et puis, à quelques pas, il y a la fête foraine. Avec ces lumières. Elles dansent les lumières, si vous savez mettre un peu de musique dans votre regard.

Alors on déambule. La grande roue. Les auto tamponneuses. Un petit train. Les éternels chouchous, bonbons, barbe à papa. L’odeur saline mêlée au sucre, la musique, techno kitsch du genre Dj Dess.

Le vent dans la pinède, loin. Et la fanfare des néons.

Le présent à la saveur réconfortante d’un joli souvenir. Tout est nostalgie, avec un filtre sépia. Vous regardez votre vie en VHS, et l’aboutissement final de votre drame personnel vous a conduit ici : au stand de tir à la carabine de la fête foraine de Porto Cesareo.

Alors, vous saisissez le jouet. Généralement, ce sont des répliques à air comprimé crachant du plomb de calibre .177, à rechargement unique (10 coups). Vérifiez bien l’alignement de l’axe hausse-canon-guidon.

Si vous redonnez l’arme au forain, faites attention à ce qu’il ne dérègle pas la visée. Ne lui donnez pas l’arme.

Concentrez-vous. Faites abstraction des licornes, des peluches Mickey, des figurines pop, des cartes italian brainrot. Oubliez la couleur du monde. Soyez l’arme. Retenez votre souffle, faites le vide. Voyez s’aligner devant vous les objectifs.

Au bout du canon, une trentaine de cibles.

Non.

Vous êtes la cible.

Votre version adulte est la cible.

La partie bourgeoise et normale de vous-même, propre, conforme, aseptisée. Regardez-vous. Scrollant sans attention les recommandations instagram, empêtré dans l’inanité des écrans, entouré des meubles qui conviennent, dans les lieux qui conviennent, exactement là ou vous devez être, sans surprise.

Flinguez-moi donc toutes ces métastases d’emmerdement que vous portez, tout ce qui est lisse, poli, convenable, prévisible en un mot tout ce qui vous éloigne de la vie.

Foutez le feu à vos contrats d’assurances. Arretez toute forme d’espoir.

Roulez vite.

Faites-vous mal.

Allez nager.

Maintenant, donnez l’arme à l’enfant que vous étiez,

et tuez vous.

BANG!

Si vous êtes suffisamment adroit, vous vivrez de nouveau, et vous aurez appris.

Appris que le temps n’est rien, et que la joie est partout, qu’il faut juste la saisir. Vous obtiendrez pour vos prouesses au tir le dernier jouet authentiquement contrefait et à la mode : un labubu, et gagnerez de fait un trésor inestimable : le sourire de votre nièce.

La vie heureuse se résume facilement.

Il suffit de tendre la main

attraper les étoiles

rire de ce que nous sommes

et presser la détente.